Une tragédie qui donne à réfléchir
Treize personnes perdaient la vie il y a tout juste vingt ans lors d’intempéries frappant Gondo. Ce village valaisan proche de la frontière avec l’Italie est depuis lors un symbole de la gestion des catastrophes, en raison de l’élan de solidarité inégalé jusqu’ici que le sinistre avait suscité dans toute la Suisse. De leur côté, les spécialistes ont aussi tiré des enseignements de cet événement extrême.
Brouillard, froid et pluies incessantes caractérisent la deuxième quinzaine d’octobre 2000. En trois jours, il pleut autant sur le Simplon que durant toute une année normale. À Gondo, sur le versant sud, les autorités déclenchent l’alarme « crue ». Les riverains de la Doveria, un petit cours d’eau habituellement tranquille, sont évacués préventivement. Mais, contre toute attente, c’est d’en haut que vient la tragédie : le samedi 14 octobre, peu après dix heures du matin, une avalanche de boue, d’éboulis et de blocs de rochers déferle sur le petit village de 130 âmes. En quelques instants, le centre du bourg est dévasté : une douzaine de maisons disparaissent, autant d’habitants sont portés disparus.
Mons de douze heures plus tard, l’armée et la protection civile arrivent sur les lieux de la catastrophe. Dès que la situation apparait sûre, elles lancent les opérations de recherche et de sauvetage. En dépit des précautions, une nouvelle coulée, plus petite, blesse quelques membres des forces d’intervention. Malgré le flair des chiens de secours, l’aide arrive trop tard pour les habitants ensevelis : treize personnes ont ainsi trouvé la mort à Gondo il y a vingt ans.
« Un week-end noir »
Il a fallu moins de 20 secondes aux tonnes de matériaux pour semer la mort et recouvrir presque entièrement le cœur du village. Roland Squaratti, le président de commune d’alors, toujours en poste, n’est pas le seul à se souvenir du « week-end noir des 14 et 15 octobre » : les proches des victimes, les membres des forces d’intervention et les très nombreux donateurs de toute la Suisse et de l’Italie voisine se joignent à lui dans la commémoration. Cet événement aux conséquences si dévastatrices a fait l’objet d’études scientifiques précises qui ont permis de tirer des enseignements utiles mais ont aussi laissé quelques questions sans réponse.
La Chaîne du Bonheur a rassemblé pas moins de 74,2 millions de francs après les intempéries de l’automne 2000, qui ont fauché d’autres vies humaines en Valais et au Tessin et ont aussi frappé durement d’autres régions. La population de la Suisse s’est montrée extrêmement solidaire. Les sommes récoltées n’ont été dépassées que lors du tsunami en Asie du Sud-Est, quatre ans plus tard. Un sixième du montant est allé à la commune de Gondo. La reconstruction du centre du village, vieux de quatre siècles, a fait l’objet d’un concours national d’architecture. On espérait ainsi redonner vie à cette commune de montagne en en faisant un modèle. Mais seules cinq maisons ont été rebâties car seule une partie des habitants a voulu revenir. Fortement endommagée à l’époque, la tour Stockalper, classée monument historique, est devenue un hôtel.
Pourtant, les critiques venant de l’extérieur ou de l’intérieur n’ont pas manqué de pleuvoir à leur tour sur un village qui n’en demandait pas tant. Des médias nationaux et internationaux se sont aussi demandé si la reconstruction de Gondo était une réussite ou un échec. Comme d’autres villages isolés, Gondo voit sa population diminuer. Depuis 2001 il a perdu la moitié de ses habitants et l’école est presque vide. Mais il y a aussi des signes positifs : le tourisme se maintient et le marathon annuel lancé en 2002 en souvenir des victimes n’a été annulé que cette année, à cause de la pandémie de coronavirus.
Un effet domino inattendu
Le village est connu depuis longtemps des amateurs de sport de montagne. Il est le point de départ d’itinéraires spectaculaires et parfois périlleux menant à plusieurs sommets de plus de 4000 mètres. La catastrophe a éveillé l’intérêt des géologues et des hydrologues pour l’imposant décor rocheux qui entoure Gondo. Peu d’événements ont été disséqués aussi méticuleusement que la fameuse coulée. Des scientifiques venus de toute la Suisse ont récolté des données sur les pluies exceptionnelles de cet automne-là et tenté de retracer les détours de tous les ruisseaux afin de déterminer après coup d’où venaient ces masses d’eau inattendues.
Tout cela a débouché sur la publication d’un rapport très détaillé, compréhensible même par les profanes. Ce funeste samedi matin, peu avant 10 heures, plusieurs choses sont allées de travers et ont déclenché un effet domino. L’eau de pluie accumulée a commencé par saper la base d’un mur de soutien censé protéger le village des éboulis. Lorsqu’une coulée de boue est venue s’y ajouter, le grand mur de béton a basculé et ses débris ont nourri la violence destructrice de l’avalanche.
Aujourd’hui, une nouvelle digue et une canalisation supplémentaire devraient empêcher la répétition d’un tel événement. Il reste à espérer que Gondo, à l’instar de Brigue il y a vingt ans, puisse aussi tirer profit de ses expériences. En 1993, des inondations avaient dévasté le centre de la ville. Mais grâce aux mesures prises par la suite, les intempéries de l’automne 2000 l’ont épargnée.
L’auteur: Paul Knüsel, Journaliste scientifique