Crise des réfugiés : échange d’expériences entre l’Allemagne, l’Autriche et la Suisse
La forte augmentation du nombre de réfugiés ces dernières années représente un défi de taille pour les États européens. L’enregistrement, l’hébergement et la prise en charge de ces personnes exigent une étroite collaboration des autorités, des organisations d’entraide et de la société civile. Au point culminant de la crise, en été et en automne 2015, il a fallu parfois trouver des solutions pratiques en l’espace de quelques jours, voire de quelques heures. Dans ces circonstances, les points forts mais aussi les faiblesses des structures et procédures de gestion de crise ont été mis en évidence. Les organisations de protection de la population ont beaucoup à apprendre des expériences faites afin de se préparer au mieux à faire face à de futures catastrophes, crises et situations d’urgence. Il importe de procéder à une évaluation actuelle, complète et critique des événements avec les principaux acteurs. Pour la Suisse, la coopération avec les pays voisins revêt une importance particulière, car la question des réfugiés se pose partout.
Échanges d’expériences par delà les frontières
Pour faciliter l’échange d’expériences sur différents aspects du problème entre l’Allemagne, l’Autriche et la Suisse, l’Office fédéral de la protection de la population a organisé, les 27 et 28 octobre derniers à Zurich, un atelier en collaboration avec le Center for Security Studies (CSS) de l’EPFZ. Les organisateurs pouvaient s’appuyer sur une coopération de longue date entre les autorités des trois pays qui se sont déjà rencontrés à de nombreuses reprises pour traiter différentes questions liées à la protection de la population (p. ex. l’analyse des risques et la protection des infrastructures critiques) dans le cadre de rencontres intitulées D-A-CH-Workshops.
Autorités, humanitaires et scientifiques réunis autour d’une même table
L’Allemagne a délégué des représentants de l’Office fédéral pour la protection des populations et l’assistance en cas de catastrophe (BBK), de l’Office fédéral des migrations et des réfugiés (BAMF), de l’Office fédéral du transport de marchandises (BAG), du Centre de recherche sur les catastrophes de l’Université libre de Berlin ainsi que des länder de Bavière et de Bade-Wurtemberg. L’Autriche était représentée par le Ministère fédéral de l’intérieur (BM.I), le land du Tyrol et la Croix-Rouge autrichienne. Enfin, le point de vue suisse était présenté par des délégués du Secrétariat d’État aux migrations (SEM), de l’Office fédéral de la protection de la population (OFPP), de l’Administration fédérale des douanes (AFD), des cantons de Saint-Gall, Vaud et Zurich et de la Croix-Rouge suisse. En tout, 22 représentants des autorités, de la société civile et du monde scientifique, tous impliqués dans les questions liées aux réfugiés ou à la protection de la population, ont pris part à cette rencontre. La réunion poursuivait deux objectifs principaux : d’une part, échanger des expériences pratiques et discuter de champs d’action possibles pour relever les défis futurs, et d’autre part, identifier les conséquences au plan politico-stratégique.
Des structures différentes, mais des défis semblables
Au début de l’atelier, des représentants de l’Office fédéral allemand des migrations et des réfugiés (BAMF), du Ministère autrichien de l’intérieur (BM.I) et du Secrétariat d’État suisse aux migrations (SEM) ont présenté les compétences respectives des États fédéraux et l’évolution de la situation ces derniers mois. Il est apparu clairement que les structures de gestion de crise des trois pays se distinguent sur des aspects essentiels. L’ampleur de la crise diffère également d’un pays à l’autre. L’Autriche a certes dû faire face à une augmentation très importante des demandes d’asile mais elle a été touchée principalement en tant que pays de transit, de sorte que les réfugiés y séjournaient relativement peu de temps. L’Allemagne en revanche a dû mettre en place un plus grand nombre de structures d’accueil de longue durée, alors qu’en Suisse, si le nombre de demandes a été très élevé, il s’est toutefois avéré nettement plus faible que dans les pays voisins. La discussion a cependant montré que les responsables sont partout confrontés à des problèmes similaires.
La crise des réfugiés a mis en évidence les forces et les faiblesses
Comme beaucoup de participants l’ont relevé, l’un des aspects les plus importants consiste à bien délimiter les responsabilités et les compétences. Au début de la crise, notamment, la gestion d’un afflux grandissant de migrants a souvent été traitée d’abord comme un problème de police des frontières. Plus tard, alors que les questions d’hébergement et de prise en charge devenaient toujours plus aigües, la crise est entrée dans le champ de la politique sociale. Les structures de la protection de la population n’ont été que ponctuellement mises à contribution, quand bien même celles-ci appliquent des procédures définies et consolidées lors d’exercices et d’engagements réels. En revanche, on a souvent mis en place de nouveaux instruments opérationnels, d’où parfois des retards et des problèmes de coordination entre les nombreux acteurs impliqués.
On a besoin de partenariats à long terme mais aussi de savoir improviser
Les participants se sont accordés pour souligner que, malgré des conditions difficiles, il s’est avéré possible d’assurer un minimum de prise en charge et de sécurité aux réfugiés en agissant rapidement et efficacement. Dans la plupart des cas, les accords souvent informels passés entre les représentants des différentes autorités aux niveaux national et régional et les organisations d’entraide se sont avérés décisifs. Au plus fort de la crise, on a pu trouver des solutions applicables dans les plus brefs délais, sans bureaucratie et grâce à un certain art de l’improvisation, pour venir en aide rapidement à des personnes qui souvent, après des mois voire des années d’errance, se trouvaient dans des états de santé physique et mentale critiques. Comme l’ont martelé les représentants des Croix-Rouge suisse et autrichienne et du centre de recherche sur les catastrophes de l’Université libre de Berlin, il faudrait cependant mettre en place au plus vite des procédures et des structures pour faire face aux catastrophes, crises et situations d’urgence futures, par exemple en ce qui concerne le financement des activités d’assistance et de ravitaillement des organisations d’entraide.
Quels enseignements tirer pour le long terme ?
À la fin de la rencontre, les participants ont parlé des enseignements à tirer, à moyen et à long terme, des expériences faites. Comme plusieurs personnes l’ont fait remarquer, la crise est loin d’être terminée. Il faut au contraire s’attendre à une augmentation des flux migratoires vers l’Europe ces prochaines années. Dans le même temps, il faut constater que les structures de gestion sont déjà en train d’être progressivement démantelées. Il importe par conséquent de prendre des dispositions à temps pour pouvoir réagir rapidement à toute évolution de la situation. Les organisations de protection de la population ont un rôle actif à jouer sur ce plan. Un autre point a été mentionné à plusieurs reprises dans les discussions : la capacité à identifier rapidement des développements préoccupants. En raison d’un manque de coordination et de communication, les acteurs sur le terrain ont eu de la peine à se faire une vue d’ensemble de la situation au plus fort de la crise. Cela les a contraints à réagir au coup par coup faute de pouvoir anticiper les évolutions. Afin d’améliorer ce point, il importe de renforcer et institutionnaliser la coopération entre les acteurs impliqués, aussi bien aux différents échelons administratifs qu’entre pays voisins, notamment en mettant sur pied régulièrement des exercices transfrontaliers.
Mettre à profit le potentiel de la société civile
Enfin, les participants se sont également demandé comment mieux mettre à profit le potentiel de la société civile pour maîtriser des catastrophes, des crises et des situations d’urgence. Comme l’a montré la crise des réfugiés, de nombreux citoyens sont prêts à s’investir pour venir en aide à des personnes en détresse. Des entreprises ont également exprimé expressément leur volonté d’apporter une contribution. Un des principaux défis pour la protection de la population ces prochaines années sera d’utiliser ce potentiel et d’intégrer le plus efficacement possible les différents acteurs de la société civile dans les structures existantes.
Le rôle de la protection de la population dans la prise en charge et le ravitaillement des réfugiés
Dans le débat public, l’implication de la protection de la population dans le domaine de l’asile est souvent mal perçue. En principe, le système de protection de la population est conçu pour faire face principalement à des catastrophes naturelles ou à des accidents industriels. Afin d’éviter tout malentendu, il faut bien préciser que les réfugiés ne représentent aucunement un danger contre lequel on devrait protéger la population. En fait, ce sont eux qui ont besoin de protection. Les accords internationaux contraignent les États signataires à les prendre en charge de façon organisée, efficacement et surtout avec dignité. Il s’agit là d’un devoir humanitaire.
Les pouvoirs publics doivent accomplir cette tâche sous la pression du temps. De nombreux acteurs étatiques ou non sont impliqués, notamment dans les domaines de la santé, de l’aide sociale, de la protection de la jeunesse, de la sécurité et de l’asile. Les organisations de la protection de la population peuvent apporter une contribution importante à la résolution de la crise. Elles peuvent mettre à disposition des ressources précieuses pour transporter et enregistrer un grand nombre de personnes, mettre en place des hébergements de secours, distribuer des repas et des vêtements et fournir des soins médicaux et une assistance psychosociale. Grâce à des exercices réguliers, les structures et les procédures nécessaires peuvent être rapidement opérationnelles et représentent un pilier important de la gestion de crises par les pouvoirs publics.